Par Nicolas MITTON, juriste et consultant en affaires publiques

L’obligation de rendre publics leurs comptes annuels est une contrainte mal vécue par nombre d’entrepreneurs qui y voient une atteinte au secret de leurs affaires. Cette obligation, à laquelle peu d’exceptions sont prévues, a récemment fait l’objet de diverses adaptations. Toutefois, l’arsenal juridique permettant d’obtenir son exécution par les entreprises défaillantes reste faible.

PRINCIPE : L’OBLIGATION DE DEPOT ET SES EFFETS

Présentation générale

Aux termes des dispositions des articles L.232-21 et suivants du code de commerce, les sociétés à responsabilité limitée, les sociétés par actions ainsi que certaines sociétés en nom collectif sont tenues de déposer en annexe du registre du commerce et des sociétés (RCS) :

– Les comptes annuels et, le cas échéant, les comptes consolidés, le rapport sur la gestion du groupe, les rapports des commissaires aux comptes sur les comptes annuels et les comptes consolidés, éventuellement complétés de leurs observations sur les modifications apportées par l’assemblée ou l’associé unique aux comptes annuels qui leur ont été soumis ;
– La proposition d’affectation du résultat soumis à l’assemblée  ou à l’associé unique et la résolution d’affectation votée ou la décision d’affectation prise.

Les sociétés par actions sont tenues de déposer, outre les éléments visés ci-dessus :

– Le rapport de gestion (pour les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation) ;
– Le cas échéant, le rapport du conseil de surveillance.

Le dépôt doit être effectué dans un délai d’un mois courant à compter de la date d’approbation des comptes. Ce délai est porté à deux mois en cas de dépôt effectué par voie électronique.

Après dépôt, les comptes de l’entreprise sont rendus publics, et accessibles à tous tiers qui en font la demande auprès du greffe du tribunal de commerce du lieu d’immatriculation.

Dans le cadre de cette communication, le demandeur est totalement anonyme et n’a aucune obligation de motiver sa requête.

A noter : Les SARL et SAS dont l’associé ou actionnaire unique assume également la gérance ou la présidence peuvent ne déposer que l’inventaire et les comptes annuels signés, ce dépôt valant alors approbation des comptes.  En cas de refus d’approbation ou d’acceptation, seule sera déposée en annexe du RCS une copie de la délibération de l’assemblée ou de la décision de l’associé unique.

Sociétés d’exercice libéral (SEL) et sociétés de participations financières de professions libérales (SPFPL)

L’obligation de dépôt, applicable aux sociétés de forme commerciale, est également applicable aux sociétés d’exercice libéral, par renvoi opéré par l’article 1 de la Loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990.

En effet, cette loi ne prévoyant aucune dispense ou adaptation du régime de droit commun posé aux articles L.232-21 et suivants du code de commerce, ledit régime doit s’appliquer dans son intégralité.

Cette lecture est confirmée par une réponse du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, en date du 27 juin 1994[1] qui confirme l’absence de dispense au profit des SEL sur ce point particulier.

Les SEL, quelle que soit leur forme juridique, sont donc tenues de respecter cette obligation. Sont concernées les sociétés constituées sous l’une des formes suivantes :

– SELARL – SELURL

– SELAS – SELASU

– SELAFA

– SELCA

Il en va de même des sociétés de participations financières de professions libérales.

En effet, qu’elles soient constituées sous la forme de sociétés à responsabilité limitée, de sociétés anonymes, de sociétés par actions simplifiées ou de sociétés en commandite par actions, toutes les SPFPL, sans exceptions, sont également tenues de déposer leurs comptes à la clôture de chaque exercice.

NUANCES A L’APPLICATION DU PRINCIPE

Nuances posées par le législateur

Deux dispositifs récents, codifiés à l’article L.232-25 du code de commerce, viennent limiter la portée de l’obligation de publicité exposée ci-dessus.

« Micro-entreprises » : confidentialité des comptes

Les sociétés répondant à la définition des « micro-entreprises » (sauf exceptions touchant notamment les sociétés exerçant des activités bancaires, financières ou assurantielles, cette liste n’étant pas exhaustive) peuvent, lors du dépôt de leurs comptes, exiger que ceux-ci ne soient pas rendus accessibles au public.

Ce régime de confidentialité s’applique aux comptes relatifs aux exercices clos à compter du 31 décembre 2013 et déposés à compter du 1er avril 2014.

Les critères d’identification des « micro-entreprises » sont posés aux articles L.123-16-1 et D.123-200 du code de commerce. Il s’agit des commerçants (qu’il s’agisse de personnes physiques ou morales) qui, à l’issue du dernier exercice clos, ne dépassent pas deux des trois seuils listés ci-dessous :

– Total du bilan : 350 000 Euros

– Chiffre d’affaires net : 700 000 Euros

– Nombre moyen de salariés employés : 10

Petites-entreprises : confidentialité du compte de résultat

Les sociétés répondant à la définition des petites entreprises (sauf exceptions touchant notamment les sociétés exerçant des activités bancaires, financières ou assurantielles, cette liste n’étant pas exhaustive) peuvent, lors du dépôt de leurs comptes, exiger que leur compte de résultat ne soit pas rendu accessible au public.

Ce régime de confidentialité s’applique aux comptes relatifs aux exercices clos à compter du 31 décembre 2015 et déposés à compter du 8 août 2016.

Les critères d’identification des petites entreprises sont posés aux articles L.123-16 et D.123-200 du code de commerce. Il s’agit des commerçants (qu’il s’agisse de personnes physiques ou morales) qui, à l’issue du dernier exercice clos, ne dépassent pas deux des trois seuils listés ci-dessous :

– Total du bilan : 4 000 000 Euros

– Chiffre d’affaires net : 8 000 000 Euros

– Nombre moyen de salariés employés : 50

Effets attachés à la déclaration de confidentialité

Dans les deux cas exposés ci-dessus, les éléments déclarés comme confidentiels ne pourront être délivrés aux tiers par le greffier du tribunal de commerce.

Seule une attestation indiquant que les éléments demandés sont confidentiels ainsi qu’une copie de la déclaration de confidentialité déposée par la société pourront être obtenus.

Les éléments confidentiels restent toutefois accessibles aux personnes suivantes :

– L’entreprise elle-même

– Les autorités judiciaires

– Certaines autorités administratives

– La Banque de France

– Certaines personnes définies par arrêté des ministres chargés de l’économie et des finances

Nuances résultant de la pratique

Des mécanismes contraignant peu appliqués

Les outils juridiques permettant de contraindre une société à procéder au dépôt de ses comptes sont les suivants :

– Injonction de faire émanant du Président du tribunal

L’article L.611-2 du code de commerce permet au Président du tribunal d’adresser une injonction de faire, à bref délai et sous astreinte.

Il s’agit d’une faculté dont le Président peut user, mais il n’a aucune obligation de le faire.

Le mécanisme de l’astreinte (pénalité financière par jour de retard) est particulièrement contraignant, car pouvant rapidement aboutir à des sommes importantes.

Toutefois, l’application de ce texte est délicat au sein des juridictions, et ce pour différentes raisons :

L’initiative de l’application de la procédure : quels sont les éléments ayant décidé le Président à faire application de la procédure ? Une simple demande adressée par courrier, voire une dénonciation, anonyme ou non, est une base délicate, car ayant pour effet d’instrumentaliser un mécanisme juridique, une juridiction et son Président, au profit d’un acteur économique dont les motivations resteront inconnues.

L’application systématique de l’injonction à toutes les sociétés défaillantes pose quant à elle des problèmes pratiques et logistiques au sein des juridictions. Au vu du nombre de sociétés ne respectant pas leur obligation, la mise en œuvre systématique de l’astreinte nécessiterait d’énormes moyens humains, matériels et temporels qui font défaut.

A noter : le greffier du tribunal de commerce est tenu d’informer, systématiquement, le Président du tribunal ainsi que le Préfet du département de l’absence de dépôt de ses comptes annuels par une société soumise à cette obligation.

– Assignation en référé

L’article L.123-5-1 du code de commerce permet à tout intéressé de saisir le Président du tribunal, par la voie du référé, en vue de voir le dirigeant de la société défaillante enjoint sous astreinte de procéder au dépôt des comptes.

Ici encore ce mécanisme reste d’application très limitée pour une raison simple : l’assignation n’étant pas anonyme, elle oblige le requérant souhaitant obtenir communication des comptes à dévoiler tout ou partie de ses intentions.

– Relances effectuées par les greffiers des tribunaux de commerce

De nombreux greffes de tribunaux de commerce adressent chaque année, aux sociétés défaillantes, des relances les incitant à remplir leurs obligations en la matière.

Ces relances, adressées sous forme de courrier simple, sont effectuées spontanément, sans qu’aucun texte ne l’impose.

Elles font souvent réagir les entrepreneurs mais n’ont aucune valeur contraignante et ne constituent qu’un rappel des textes évoqués ci-dessus.

Faiblesse des sanctions

L’article R.247-3 du code de commerce dispose que le non-respect par une société de son obligation de dépôt relève de la catégorie des contraventions de cinquième classe, et est puni d’une amende d’un montant de 1500 Euros (3000 Euros en cas de récidive).

A défaut de respecter ses obligations, la société défaillante se trouverait dans une situation irrégulière, et ainsi exposée au risque de sanctions ou d’engagement de sa responsabilité.

En outre, le commerçant ou le dirigeant de société n’ayant pas procédé au dépôt pourrait se voir mis en cause personnellement dans le cadre de cette défaillance.

Ceci étant précisé, il convient toutefois de constater que le défaut de dépôt des comptes est monnaie courante parmi les acteurs économiques français, et que les sanctions ne sont que très rarement, voire quasiment jamais appliquées.

Au bout du compte, la « réelle » sanction du défaut de dépôt des comptes sociaux par une société lui sera imposée par ses partenaires économiques ou financiers (banque, associés, fournisseurs, clients, cocontractants etc…). L’absence de dépôt est en effet souvent source de manque de confiance quant à la viabilité et à la solidité d’une structure, et peut, dans certains cas, aboutir à l’échec pur et simple de certains projets ou opérations.

[1] Question n°13922 – Journal Officiel du 27/06/1994, page 3303

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